Rester de marbre sous pression est une qualité fondamentale dont doit disposer tout bon joueur de poker. Dans le langage courant, l’expression « poker face » fait référence à une situation pour laquelle un individu dissimule ses vraies émotions et utilise un visage impassible afin de dissimuler son jeu.
La communication non verbale a une longue histoire derrière elle, et ne se limite uniquement pas aux expressions faciales. Une étude de l’Université Columbia a dévoilé que la gestuelle des mains est aussi très révélatrice sur le jeu d’un adversaire.
Nous avons contacté un groupe d’experts pour nous aider à percer les codes de la communication non verbale, allant de la gestuelle des mains, de la posture, des expressions faciales et des choix vestimentaires. Ils décryptent les comportements de célèbres figures, notamment les politiques qui ont essayé de dissimuler leurs vraies émotions au monde, en mentant ou en cherchant simplement d’éviter une situation inconfortable.
A quel point ces personnes étaient-elles douées pour garder leur « poker face » devant les caméras ?
La tentative de l’ex-ministre Yves Leterme de rassurer la Belgique suite à la nationalisation de Dexia Banque
En Octobre 2011, le gouvernement belge décide de sauver la banque Dexia, au bord de la faillite, en la nationalisant. Le premier ministre s’adressera ensuite à la Belgique pour leur assurer que cette décision n’aurait pas d’impact négatif sur l’économie du pays et que l’argent des Belges était en sécurité. Plus tard, Leterme admettra que ce fut l’une des déclarations les plus difficiles qu’il ait eu à faire, car il craignait en réalité un effondrement bancaire.
Sofie-Ann Bracke, une experte du langage corporel et de l’attitude, explique, « Il y a certains signes subtiles qui montrent que Leterme est mal à l’aise dans la vidéo. Il change plusieurs fois d’appui dans la vidéo (0m27s, 0m34s, 0m51s, 1m07s). La série de mouvements à partir de 1m à 1m8s est très intéressante : il insiste plus particulièrement sur certains mots (« leur argent », « pleine sécurité »), il pince ses lèvres, affiche un rictus et modifie la distribution de son poids. Ce qui signifie qu’il est très mal à l’aise. Finalement, la peur et l’anxiété sont perceptibles à la manière dans il bouge ses lèvres sur le côté ce qui conduit au retroussement de sa lèvre supérieure (0m36s, 0m45s et 1m06s). »
La tentative d’évitement d’Yves Leterme des questions portant sur ses actions à Arco & Citibank
Arco était un actionnaire majoritaire de Dexia Banque quand elle s’écroulait en 2011. Pourtant, contrairement aux actionnaires ordinaires, qui avaient perdu leur investissement, ou la grande majorité, ceux d’Arco, connus sous le nom de « coopérateurs », étaient couverts par une garantie d’Etat. Yves Leterme déclara ne pas avoir d’actions, alors qu’il était lui-même un coopérateur (première partie de la vidéo). Dans la deuxième partie de la vidéo, il contourne les questions portant sur ses investissements personnels.
Sofie-Ann Bracke explique qu’en tant qu’expert du langage corporel, elle est à la recherche de changement du comportement. Cela n’implique pas forcément qu’une personne est en train de mentir, mais confirme qu’elle est sous pression. Dans le cas d’Yves Leterme, il y a quelques-uns de ces moments. Dans la première partie de la vidéo, la position de ses mains est fascinante : elles sont croisées puis adoptent une toute autre position : sa main gauche vient se placer au-dessus de son ventre, sa main droite, quant à elle, est immobile et placée devant lui sur la table. Ceci indique qu’il adopte une posture protectrice. Dans la deuxième vidéo, (interviewé par Linda De Win à partir de 0m28s), Leterme est très clairement irrité. Il hausse les épaules à 0m36s et 0m38s, ce qui indique qu’il se demande pourquoi il doit se défendre. Son sourire à 0m41s est une manière polie de montrer qu’il est ennuyé par l’interview. A la question suivante, il se balance légèrement sur lui-même (0m43s-0m45s), indiquant qu’il s’impatiente. Il est aussi important de noter qu’il change de tactique en questionnant l’interviewer, afin d’éviter de se justifier. Un autre signe d’irritation est lorsqu'il crispe sa mâchoire (0m53s, 1m04s, 1m06s) et hausse les épaules.
L’ex-ministre français Jérôme Cahuzac nie avoir des comptes non déclarés
En 2012, Médiapart dévoile que l’ex-ministre délégué chargé du budget Jérôme Cahuzac aurait des comptes non déclarés en Suisse et à Singapour. Dans cette vidéo (1m08s), il dément cette information devant l’Assemblée Nationale. En 2013, pourtant, il avouera devant les juges d’instruction avoir des comptes offshores.
Selon Eric Goulard, expert en non-verbal et crédibilité, l’attitude de l’ex-ministre dans la vidéo révèle qu’il est sur la défensive. Il est, seul contre tous, face à un groupe de personnes qui l’accuse d’un fait qu’il dément. Le maintien d’un regard fixe lors de sa prise de parole peut être interprété, à tort, par une volonté de convaincre d’un mensonge. Pourtant, dans cette situation, l’expert explique que plusieurs interprétations peuvent découler de ce regard fixe : un mensonge, une volonté de montrer qu’il domine la situation ou de dissimuler un malaise. Ce n’est qu’après les aveux de l’ex-ministre, que ses réelles intentions/émotions deviennent limpides.
La déclaration d’innocence de Silvio Berlusconi dans l’affaire Bunga-Bunga
L’ex-premier ministre Silvio Berlusconi a réagi comme tout politicien après avoir été accusé d’avoir payé une prostituée mineure, nommée Ruby, et avoir abusé de son pouvoir en essayant de la libérer de détention. Lors d’un discours très largement diffusé et relayé en Italie et dans le reste du monde, il proclamera son innocence.
Maîtrisant parfaitement son discours qui n’autorisait aucune interaction, Berlusconi est en mesure de contrôler son langage corporel. Le coach du comportement Diego Ingrassia fait cependant remarquer que plusieurs fois dans la vidéo, Berlusconi montre des signes de difficultés physiques à poursuivre son discours, ce qui renforce l’idée qu’il a soit été écrit par une autre personne, ou qu’un autre a au moins très largement participé à son écriture.
En particulier, à 2m52s, Berlusconi a l’air « pratiquement en souffrance » ; et à partir de 5m21s, « il y a quelques divergences par rapport à son comportement habituel – un timbre plus rauque, un haussement d’épaules asymétrique du côté droit, et un hochement de tête – indiquant qu’il est irrité par la situation présente, et qu’il refuse de croire ce qui est dit. »
A 2m27s, Berlusconi dit que Ruby s’était présentée comme une jeune femme de 24 ans, qui peut être « confirmé par plusieurs témoins ». Ingrassia ajoute que « son langage corporel, plus particulièrement son hochement de tête dans une direction négative, ont l’air de contredire ses propos ». Par ailleurs, à 7m04s, quand l’ex dirigeant politique explique qu’il n’y avait rien de nature sexuelle lors de ses soirées, il sourit très brièvement, ce qui indique qu’il « est soit amusé d’avoir inclus cette phrase dans son discours, soit content de se remémorer ces événements. »
La réponse mal placée de Prince Charles pour ses fiançailles
En 1981, le Prince Charles et Lady Diana donnaient leur première interview suite à leurs fiançailles. Plusieurs années plus tard, après la fin d’un mariage qui se finissait avec amertume, Diana déclara « nous étions trois dans ce mariage, donc nous étions un peu trop ».
« Charles n’a pas adapté son comportement à la présence de Diana », selon le psychologue et former Oxford don Dr Peter Collett, ce qui est plus particulièrement visible lors de leur marche initiale (0m20s) quand Charles se promène sans réellement remarquer que Diana lui tient le bras. « Si on devait effacer Lady Di du tableau, on n’aurait pas l’impression qu’une personne manque au bras de Charles», explique Collett.
Quand on leur demande s’ils sont amoureux l’un de l’autre, Lady Diana répond « bien sûr » avant que Prince Charles ne réponde « quelle que soit la définition d’être amoureux ». Tout de suite après, il baisse les yeux et se mord les lèvres, une réaction de retenue montrant qu’il s’est rendu compte qu’il avait donné la mauvaise réponse.
La Science de la Supercherie
Savez-vous ce qui se cache derrière une expression faciale donnée?
La plupart des experts disent qu’il est extrêmement difficile de déterminer si une personne bluffe.
Selon Mircea Zloteanu, un chercheur du département de Psychologie Expérimentale de University College London, les croyances populaires et les médias ont réussi à créer une image erronée de la détection des supercheries, et ont fait véhiculer l’idée selon laquelle il est très facile de démasquer un menteur.
Zloteanu, dont les recherches se concentrent sur les signes du comportement, qui peuvent être utilisés pour déterminer/vérifier quand une personne dit la vérité ou ment, explique : « Vous entendez souvent parler de langage corporel, et particulièrement d’expressions faciales, comme étant des sources de détection de mensonge, tels qu’un détournement du regard, un air nerveux (tous deux n’étant pas des signes valides), alors qu’en réalité, la détection d’un mensonge est beaucoup plus complexe et est influencée par plusieurs facteurs. »
Les gens ont tendance à être tout juste meilleur qu’un choix au hasard à détecter le mensonge, et sont biaisés en supposant que les autres disent la vérité la plupart du temps. Même les personnes qui font face à des propos trompeurs sur une base quotidienne (comme les policiers) ne sont pas bien meilleur, ils ont juste tendance à assumer que les autres mentent la plupart du temps.
Pas aussi facile qu’on ne le pense
Alors que certains ont suggéré l'existence de personnes qui sont des experts à détecter les mensonges, et ont 100% de précision tout le temps, il n'y a pas encore eu aucune preuve concluante à l'appui. Zloteanu dit, "je serais très méfiant de toute personne qui prétend qu'ils peuvent repérer un mensonge à chaque fois."
Ceci dit, la notion d'indices visuels découlant d’un mensonge n’est pas sans fondement scientifique. La recherche a montré que lorsque les gens mentent, ils subissent des changements dans leur comportement, à la fois verbal et non verbal. Ces changements sont généralement attribués à trois processus principaux: les changements émotionnels, la charge cognitive et le contrôle du comportement.
Les menteurs éprouvent des émotions, comme la peur, la culpabilité, ou même le plaisir, beaucoup plus que leurs homologues véridiques. Ces sentiments sont trop forts pour être contrôlés pleinement et auront une incidence sur les expressions du visage et la voix du menteur.
Deuxièmement, le mensonge est généralement un processus difficile mentalement, car le menteur doit construire un mensonge plausible, tout en supprimant la vérité, et doit anticiper les attentes de l'auditeur. En raison de cette complexité cognitive, les mensonges ont tendance à être plus courts, moins plausibles, semblent moins authentique, et manquent de détails.
Enfin, les menteurs essaient de se présenter comme honnête en changeant leur comportement pour correspondre à celui d'une personne honnête, mais parce que l'honnêteté ne dispose pas d’indices spécifiques en soit, ces comportements peuvent sembler rigides, inappropriés, ou mal chronométrés.
Le « poker face » existe-t-il après tout?
L'idée que d'être bon à mentir ou au bluff est lié à un visage impassible ne reflète pas la recherche.
Pour l'un, les gens ne sont pas très bons à supprimer ou masquer leurs émotions. Plusieurs travaux de recherche ont montré que la suppression des émotions est totalement impossible et a des implications non-voulues pour le sujet. Alors que les gens peuvent contrôler ce qu'ils montrent sur leur visage et corps jusqu’à un certain degré, les études empiriques ont montré qu'il n’est pas possible de contrôler pleinement les expressions de vos émotions; celles-ci sont particulièrement difficiles à contrôler lorsque les enjeux pour le menteur sont élevés.
Cela pourrait suggérer que nous pouvons utiliser ces "signaux émotionnels" pour détecter quand quelqu'un ment, mais ces indices ne sont observés chez un petit pourcentage de l'ensemble d’une conversation, et dépendent d'autres facteurs, tels que les conséquences si le mensonge échoue ou récompense s'il réussit, ou bien si le menteur a eu le temps de se préparer. La recherche a également constaté que ces indices sont difficiles à détecter à l'œil nu, et même avec une formation la précision de détection ne s’améliore pas sensiblement. De plus, il n’y a pas de signaux émotionnels qui sont spécifiques au mensonge ou à la vérité, ce qui rend difficile de dire ce que la personne pense réellement.
Un problème d’utiliser les signaux émotionnels comme valeur diagnostique est que les gens ont des notions très stéréotypées, et souvent incorrectes, des indices qui représentent un mensonge. Apparaitre nerveux et agités sont souvent interprétés comme des indicateurs d'un mensonge, mais même une personne honnête peut paraître effrayée et nerveuse si elle est accusée d'un crime grave - ce qui est la raison pour laquelle les polygraphes ont tendance à échouer.
Le deuxième problème avec l’utilisation d'expressions faciales provient de la recherche de Zloteanu, qui montre que les gens sont très bons à truquer leurs expressions faciales. Son équipe a découvert que les menteurs sont capables d'expressions faciales qu’un observateur naïf peut interpréter comme authentique, ce qui suggère que même si les gens apprennent à lire les signaux émotionnels d’un visage, ils ne seraient pas en mesure de séparer les expressions vrais de celles qui sont truquées.
Comment réaliser quand quelqu’un bluffe au poker
En lisant les avis d'experts ci-dessus, nous pouvons résumer rapidement une liste d'actions qui peuvent indiquer quand les joueurs essaient de tromper ou de cacher leurs émotions:
• Se couvrir la bouche
• Rouler ses lèvres vers les dents
• Se pincer les lèvres ou les diriger vers le côté
• Modifier la hauteur de sa voix
• Avoir une posture asymétrique
• Hochements négatifs de tête
• Sourires égaré
• Vocabulaire cherchant à se distancer
• Bras croisés
• Prendre du recul
• Expressions faciales serrées
• Déplacement du poids corporel
Plus précisément, dans un environnement de poker, Mike Caro, auteur du livre "Poker Tells", recommande de regarder pour les indices comportementaux suivants, parmi beaucoup d'autres:
• Les joueurs qui prennent le temps de nettoyer une pile désordonnée de jetons de poker bluffent
• Les joueurs qui regardent le flop ou leurs cartes ont une main faible
• Méfiez-vous des joueurs qui regardent leurs jetons après le flop
• Les joueurs vérifient les cartes fermées après le flop sont probablement à la recherche de cartes assorties
• Contre intuitivement, les actions très marquées du visage qui cherchent à indiquer la tristesse montrent que le joueur a une main forte
• Un pari nerveux accompagne habituellement une main forte
En utilisant ces méthodes, il a été montré que la précision dans la détection d’un bluff au poker peut s’améliorer considérablement.